Les grandes gifles de la République

par Guy Masavi – chronique judiciaire au pays des cagoules rieuses Inspirée d’un article du 13 juin 2025 de Camille Polloni sur Mediapart.

Au tribunal de Bobigny, ce 13 juin, la République envoie ses meilleurs. Non pas des médaillés. Des gifleurs.Ils sont là. En rangs serrés. Dix policiers de la Brav-M, gros bras sur banc raide. Casqués de souvenirs, cagoulés de silences. Souleyman, lui, est droit. Étudiant tchadien. Noir, évidemment. Ce qui, dans certains commissariats, tient lieu de circonstance aggravante.L’affaire ? Une bande-son. Un karaoké d’indignités.
Une arrestation en mars 2023, une moto, une volée d’injures racistes, deux claques claquées avec application. Un téléphone oublié qui enregistre tout, comme un devoir de mémoire à faire frémir les archives nationales.

— « La prochaine fois, tu rentres en ambulance ! »
— « T’es venu du Tchad sur l’aile de l’avion ? »
— « Une OQTF en bonus, ça te dit ? »

Les Brav-M, champions du stand-up identitaire, s’en donnent à cœur joie. Humour de cour de récré néocoloniale, version robocop. Mais voilà : quelqu’un a appuyé sur « record ».

Le procès du rire nerveux

Pierre L., 27 ans, a reconnu la gifle. Mais attention : « sans élan », précise-t-il. Mesuré, le bourre-pif. Scientifique, presque. Il parle d’un « petit air narquois » sur le visage de l’étudiant. Ce sourire qui l’a « énormément agacé ».

C’est connu, le sourire d’un Noir dans une rue de Paris peut déséquilibrer un policier.

Son collègue Thomas P. n’était pas en reste : « Je t’aurais bien pété les genoux », « Tu vas monter dans un truc qu’on appelle une ambulance ». C’est pas du racisme, c’est du slam. Il plaide la fatigue. Il était sur le pont depuis une semaine. On comprend. Quand on dort peu, on menace plus.

Sanctions internes ? Trois jours d’exclusion et un blâme. L’équivalent administratif d’une tape sur la main pour avoir mis des claques dans la gueule.

Un banc, dix armures

Autour, huit autres policiers. Ils n’ont rien dit. Rien fait. Mais ils étaient là. Et parfois, ne rien faire, c’est applaudir en silence.Les parties civiles veulent aller plus loin : agressions sexuelles, propos sexistes, climat d’intimidation généralisée. Salomé, interpellée la même nuit, parle d’une palpation brutale, d’un commentaire douteux sur son prénom à consonance juive. Elle lève les bras, terrorisée. Elle tombe. Pas de gilet pare-balles contre la peur.

Mais au tribunal, les Brav-M sont tous des profs de morale incompris. Leurs insultes ? « Des leçons un peu rudes ». Leurs gestes ? « Des maladresses ». Et puis, hein, « l’humour ».Ah, l’humour. Ce fourre-tout magique où on range racisme, sexisme, sadisme, quand ça commence à sentir le procès.

Un procureur pour les forts

La procureure Fanny Bussac a la rationalité d’un bloc de béton. Elle distingue les failles, les « bons » fonctionnaires et les autres. « Ce n’est pas parce que M. Souleymane est noir et qu’il se prend des gifles que c’est raciste », dit-elle. Phrase culte. À graver dans le marbre de Bobigny. Elle refuse de « mettre tout le monde dans le même sac ». Et pourtant, en uniforme, c’est déjà un peu le cas.

La défense des coups de fatigue

Les avocats des Brav-M défilent. La robe est noire, mais le ton est pastel. Ils dénoncent une « audience médiatique, peut-être politique ». Peut-être. À force de gifler la démocratie, il arrive qu’elle cligne des yeux.Sonia De Magalhaes s’épanche : « Ce sont des fonctionnaires de conviction, fatigués, dépassés, harcelés par l’image. »
Pauvres choux. Étrillés par une vidéo. Victimes du replay.

Le dernier mot au silence

La présidente, Youssef Badr, tient l’équilibre. Pas de colère en robe. Pas de grandes phrases. Juste ce vertige sourd : tout a été dit, et pourtant rien n’est fait. On sort avec cette impression poisseuse que la justice a marché dans quelque chose, mais ne veut pas regarder sous sa semelle.

Verdict le 10 juillet.

En attendant, les Brav-M continuent de patrouiller. Souleyman, lui, ne manifeste plus. Il garde les mains en l’air. Comme un réflexe.

Chronique dédiée à toutes les caméras accidentellement courageuses.

Un commentaire

  1. Ben oui, y a pas de doute, les flics ne sont pas racistes, n’abusent pas de la force ni de leur exorbitant pouvoir, aime leur prochain comme eux-mêmes, fusse t’il « d’origines » qui n’est pas la leur. Non faut arrêter de croire, de penser, de dénoncer les flics, ce sont des hommes de paix qui sont là (et las aussi) pour le bien des citoyens français. Et puis non, la justice n’est pas laxiste avec eux. Ils font une « bêtise » eh ben, même par lassitude, « elle » ne leur passe rien. Elle sévit. Tellement même qu’ils sont, une fois revenus dans leur quartier, à mourir de rire. La démocratie a du plomb dans l’aile avec cet engeance à qui l’Etat délègue la violence « légitime » a appliquer sans le moindre discernement sur des gens aussi peu coupables que possible. Ceux de la vraie délinquance, eux, ça les rassure de les savoir « occuper » ailleurs qu’à foutre leur gros nez dans leurs petites affaires juteuses à souhait. Et puis il y a bien quelques ripoux qui veillent au grain, au besoin qui donne l’alerte. après la distribution gratuite de mandales aussi justifiées que les contrôles récurrents au faciès. C’est comme l’obsolescence programmée, interdit mais en cours sur nombre de choses mortes avant que d’avoir beaucoup servi. Non les flics ne sont jamais des nervis, mais des hommes dont la responsabilité est écrasante mais tellement dissuasive de la grande délinquance.

    La drogue fait des ravages ? Allons donc.

    Ils ont autre chose à faire: distribution de mandales !

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