C’est un après-midi de chaleur moite, rideaux tirés, et moi j’écoute le comptoir comme on écoute une radio à lampes : ça grésille de certitudes viriles. Trois moustaches, deux bedaines et un polo moulant discutent Des gonzesses féministes comme d’une pénurie de pastis imminente. Ils la tiennent de Zemmour, de Soral ou de leur oncle qui a « tout compris » : les femmes prennent trop de place, ça devient intenable, et puis on ne peut plus draguer tranquille sans risquer la prison ou, pire, un hashtag.
Ha! la « crise de la masculinité »… On nous la ressert à toutes les sauces, comme un vieux bouillon rance qui prétend nourrir les âmes viriles et finit par ne rassasier que les gargouilles de bistrot. Ça fait vingt siècles qu’on nous joue le même refrain : « les femmes prennent trop de place », « le monde se féminise », « on ne peut plus draguer tranquille »… et à chaque fois, c’est censé annoncer la fin de la civilisation, ou au moins du barbecue du dimanche.
Francis Dupuis-Déri, lui, a la patience d’un archéologue des idées moisies : il gratte les strates, il exhume les mêmes ossements idéologiques, du Sénat romain à Elon Musk en passant par les moustaches fascistes. Toujours le même fantasme : l’homme fort trahi, efféminé, qu’il faudrait ressusciter à coups de muscles, de virilité conquérante et de femme remise à sa « place » (fauteuil en cuisine, chaîne en or au poignet).
Le masculinisme, c’est ce vieux cabaret où l’on recycle les numéros : un coup à droite (virilité guerrière, nation menacée), un coup à gauche (les femmes attendront après la révolution), un coup au centre (on vous aime bien, mais restez discrètes). Toujours le même décor : l’homme en victime sublime, la femme en menace sournoise. Et si ça ne suffit pas, on sort les mots en forme de grenades : « féminisme totalitaire », « féminisme radical », « féminazi ». Ah, le féminazi… l’insulte qui ose comparer la demande d’égalité salariale avec l’extermination industrielle. De l’humour noir sans humour, et beaucoup de noir.
Ce qu’il y a de fascinant, c’est que ces croisés de la virilité se disent « révoltés », « courageux », comme si passer sur tous les plateaux télé pour se plaindre qu’on ne peut plus tout dire relevait du maquis. Ils posent en résistants alors qu’ils sont en première page des magazines, reçus avec le café et les croissants.
En vérité, le masculinisme n’a rien de neuf : c’est l’album des grands succès du patriarcat, remixé par des polémistes qui confondent égalité et apocalypse. Et pendant qu’ils se battent contre des féministes imaginaires armées de ciseaux à couilles, les vraies violences celles qui tuent, continuent, discrètes, quotidiennes, trop banales pour ces héros autoproclamés.
Vous voulez sauver les hommes ? Commencez par les désarmer de leurs vieilles peurs. Le reste suivra.
