Alain Soral : portrait d’un prophète en charentaises

Il est des figures qui traversent la scène publique comme un moustique traverse une moustiquaire trouée : bruyamment, inutilement, mais avec une certaine persistance. Alain Bonnet de Soral — car oui, Monsieur a un nom de salon Louis XV — fait partie de cette race-là : celle des obsédés du grand complot, des mâles alpha de salon de thé, des intellectuels de contrebande au goût de vinaigre.

J’ai rencontré Soral comme on tombe sur un vieux pot de cornichons oublié derrière un paquet de riz bio. Je cherchais autre chose, sans doute. Et puis paf, sa moustache d’époque, ses chemises trop ouvertes, ses vidéos en contre-plongée depuis un canapé fatigué. L’homme pense fort, très fort, si fort qu’on dirait qu’il va se fouler un neurone.

Soral, c’est d’abord un styliste raté. Littéralement. Avant de devenir le curé des ligues antisémites en jogging Lacoste, il rêvait de haute couture. Mais on ne réinvente pas Karl Lagerfeld avec des blagues de vestiaire et des punchlines d’oncle fâché au repas de Noël. Recalé de la mode, il se recycle en essayiste — ce mot noble qu’on accole à ceux qui parlent tout seuls avec un micro.

Il écrit des livres, oui, beaucoup. Des titres à rallonge, bourrés de majuscules et de haine tiède : Vers la féminisation ?, Comprendre l’Empire, Abécédaire de la défaite. Le genre de livres qu’on retrouve dans la bibliothèque d’un cousin complotiste, entre un manuel de muscu et Mein Kampf version Kindle.

Il faut lui reconnaître une chose : il sait vendre. Pas des idées, non. Des rancunes. Des peurs. Des brouillards. Il enrobe le tout dans une fausse érudition, saupoudrée de citations mal digérées et de références frelatées. On croirait lire Marx sous Tranxène.

Et puis il y a le théâtre de sa vie. Il a tout joué : le gauchiste viril, l’antisystème souverainiste, l’ami du peuple, le défenseur des virilités blessées, le penseur marginal persécuté. Il se rêve en Socrate moderne, condamné pour avoir trop pensé, alors qu’il est plutôt l’Arlequin triste d’une tragédie en carton-pâte.

Dans ses vidéos, il pontifie depuis un décor flou — souvent un canapé, parfois un balcon, jamais une bibliothèque. Il parle de « l’Empire » comme d’un monstre à tentacules invisibles, avec la même certitude qu’un mec bourré expliquant les pyramides au bar du camping. Tout est lié, bien sûr : les féministes, les francs-maçons, les banquiers, les vegans et les profs de SVT.

À force de traîner dans la cave des idées moisies, il a fini par y faire son lit. Ses fans — majoritairement masculins, blancs, déclassés et très connectés — l’écoutent comme on écoute un vieux copain fâché avec le réel mais trop marrant pour le zapper. Il les flatte, il les plaint, il leur donne du sens. Un peu comme un horoscopiste parano.

Ah, et bien sûr, il est antisémite. Mais version post-moderne. Il emballe ses haines dans des formules pseudo-savantes : on ne dit pas « les Juifs », on dit « les sionistes mondialistes néo-conservateurs ». On ne dit pas « les femmes nous énervent », on dit « la féminisation est une arme de l’Empire ». C’est plus chic, mais ça pue pareil.

Il a été condamné tant de fois qu’on pourrait croire que c’est son hobby : incitation à la haine, diffamation, apologie de crimes de guerre… Il les collectionne comme d’autres les timbres. Il en tire une posture de martyr, de prophète censuré, de penseur interdit. C’est beau comme une tragédie grecque… version BFM TV.

Et pourtant, il revient toujours. Comme les punaises de lit ou les hits de Francis Lalanne. Soral, c’est ça : un parasite d’époque, accroché au corps malade de la République, qui suce l’amertume et recrache du ressentiment.

Certains disent : faut pas en parler, ça lui fait de la pub. Moi je dis : faut en rire. Faut le regarder pour ce qu’il est : un clown triste avec une pancarte « Je vous l’avais bien dit ». Un écrivain de grenier qui croit faire trembler les palais. Un polémiste de palier.

Et au fond, Soral, c’est peut-être ça le plus pathétique : un homme seul qui crie dans un mégaphone, persuadé que l’écho est une ovation.

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