par un envoyé spécial en Europe occidentale, où l’on préfère applaudir que penser
Je dois l’admettre : il y a chez Nétanyahou quelque chose d’envieux. Le type bombarde un pays souverain sans sommation, déclenche une guerre par caprice stratégique, fait exploser les codes diplomatiques comme d’autres explosent les pipelines, et obtient en retour… des accolades. Pas des condamnations, non. Des accusés de réception feutrés, des « on comprend, tu as souffert », et un florilège de tweets tièdes de dirigeants transpirant la gêne diplomatique comme d’autres transpirent du front.
Le G7, cette chorale de chefs d’État à la recherche de leur tonalité morale, n’a pas trouvé les notes justes. Il a produit une chose magnifique d’ambiguïté : un appel à la désescalade, sans jamais nommer le pyromane. On est dans le théâtre de l’absurde, mais avec du champagne à la fin de l’acte.
Bibi, ce grand timonier du chaos utile
Il faut dire que Bibi a tout compris à l’époque. Il est le VRP de la brutalité légitime, le PDG d’un État refuge transformé en forteresse hystérique. Il vend la guerre comme d’autres vendent la startup nation : avec conviction, storytelling et un accent de victime éternelle.
Ce qui est formidable avec lui, c’est qu’il vous dézingue une centrale nucléaire au petit déjeuner, puis vous explique à midi, devant les caméras, que c’est « pour la paix ». Et à 14 heures, le chancelier allemand applaudit, en lui soufflant que c’est « le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous ». Voilà. Il bombarde, on le remercie. On croirait entendre une standing ovation à Auschwitz : la repentance détraquée à son sommet.
Macron fait du Macron, et l’Europe fait du yoga
Kaja Kallas, patronne de la diplomatie européenne (oui, ça existe), a trouvé une formule ciselée : « Protéger sa sécurité dans le respect du droit international. » Superbe. Une phrase qui ne dit rien mais fait très bien sur un tote bag ou un mug à Bruxelles.
Macron, lui, continue son numéro favori : le grand écart diplomatique, entre les ruines de Rafah et les salons dorés. Il parle comme s’il écrivait des dissertations pour Sciences Po. On dirait un funambule qui marche sur une ligne de front, les yeux fermés et le sourire Instagram.
Le syndrome de Stockholm diplomatique
Pourquoi tant de silence ? Parce qu’Israël est l’enfant martyr devenu ado bagarreur, et que l’Occident, plein de remords post-shoah, n’ose pas lui dire non. On le laisse casser les vitres, cogner les voisins, tant qu’il ne s’en prend pas à la moquette. C’est l’ado intouchable de la famille internationale : il a souffert, donc il a tous les droits. Même celui de devenir bourreau.
L’Europe, dans cette farce tragique, n’est qu’un figurant angoissé. Elle parle de valeurs avec la voix d’un serveur vegan en crise existentielle. Elle n’a plus de colonne vertébrale, juste une nuque souple pour hocher du chef.
Et Gaza, pendant ce temps…
Ah Gaza. Ce petit bout de monde, écrasé sous les bombes, dont on parle quand vraiment on n’a pas le choix. Bibi y déploie sa politique de châtiment pédagogique, comme on dit en stratégie militaire néocoloniale. Et les chancelleries, la larme à l’œil mais le portefeuille plein, répondent : c’est compliqué.
Comme si le carnage avait besoin de nuance. Comme si un hôpital éventré appelait à la réflexion éthique. Comme si un enfant sous les décombres devait attendre un communiqué correct.
L’ironie terminale
Ce qui est terrible et admirable, d’une certaine manière cynique, c’est que Nétanyahou incarne l’impunité élevée au rang d’art. Il a réussi à faire d’Israël non plus un État, mais une idée : intangible, intouchable, indiscutable. Le rêve de tout dictateur, avec l’assentiment de tous les démocrates.
Il a transformé le souvenir de la Shoah en parapluie nucléaire. Il a fait de la colonisation un devoir sacré. Il a maquillé l’annexion en nécessité historique. Et nous, dans nos bureaux feutrés, nous l’appelons Bibi, comme un tonton sympa un peu nerveux.
Et moi, là-dedans ?
Moi, je regarde tout ça. Et j’écris. Avec la rage des sans pouvoir car mes phrases tombent comme des pierres dans un puits sans fond. J’essaie de sauver quelques mots, puisque je ne peux rien sauver d’autre.
Alors j’écris ça : Nétanyahou est un danger pour son peuple. Et nos dirigeants, à force de l’applaudir, deviennent les architectes de sa chute.
Guy Masavi
https://www.atramenta.net/authors/guy-masavi/1981
Illustration produit d’une IA
