« Barbares », mon cul.
Par Guy Masavi
On s’y attendait. C’est même devenu une tradition républicaine : un peu de baston, une vitrine pétée, un scooter cramé, et hop ! la meute sort les adjectifs. Ils les rincent à l’eau bénite des éditos et les balancent comme des cocktails Molotov rhétoriques, bien sûr. Le dernier en date ? Barbares. Oui monsieur. Du haut de son ministère, Retailleau a vomi ce mot comme d’autres crachent leur dentier dans le lavabo. Froidement. Sereinement. Avec ce rictus qu’ont les croisés sous amphétamine.
Le mec est content de lui. Il le surligne, le répète, le poste en story, il le savoure comme une punchline de fin de carrière. Barbares. Un mot qui ne dit rien et qui dit tout. Qui pue l’Empire, les colonies, les crânes mesurés au compas, les képis blancs et les mains sales.
C’est pas un dérapage, non. C’est un putain de programme.
Parce que Retailleau, il choisit ses mots comme on choisit sa cible : pas trop blanche, pas trop riche, pas trop flic. Il aurait pu dire “délinquants”. Trop sociologique. “Casseurs”. Trop banal. Non. Il veut cogner sous la ceinture, faire mal, déclasser, reléguer. Barbares. Ça fait trembler les mamies devant CNews. Ça excite les keufs à la pause-café. Ça fout des ailes à ceux qui rêvent d’un État fort et d’un peuple faible.
Et pendant ce temps, les morts ? Les blessés ? Les bavures ? On en parle pas. On préfère braquer les projecteurs sur des silhouettes floues, des prénoms jugés suspects, des regards de travers. On préfère parler d’ennemis de l’intérieur, comme si ces mômes-là avaient grandi dans les grottes d’Afghanistan plutôt qu’à Aulnay-sous-Bois. Français, peut-être. Mais pas trop. Pas assez. Pas les bons.
Le mot “barbare” est pratique. Il exempte de tout. Il rend inutile l’analyse, l’enquête, la remise en question. Il dit : c’est pas nous, c’est eux. C’est pas l’échec de nos politiques, c’est leur nature. Leur essence. Leur ADN de primates. Pas de bol, hein, on les a hérités avec la carte Vitale.
Et puis surtout, ça motive les troupes. Demandez aux flics. Avec un “barbare” en face, plus besoin de procédure. Plus besoin de ménagement. Le barbare, ça se gaze, ça se tabasse, ça s’écrase. On n’interpelle pas, on fait le ménage. On nettoie. On purge. C’est comme ça qu’ils appellent ça dans les groupes WhatsApp des Baqueux en service commandé : opération lessive. Et pendant qu’ils frottent à coups de matraques, la République s’astique l’honneur en se regardant dans la glace brisée de BFM.
Le racisme d’État ? Il est là. Il ne fait même plus semblant. Il parade. Il sourit. Il tape dans le dos des éditorialistes et s’affiche dans les slogans de campagne. Barbares, ensauvagés, racailles. Trois syllabes, une cellule, zéro avenir.
Et si on creuse un peu, on trouve toujours les mêmes cibles. Les mômes à capuche. Les noms pas très catho. Les peaux qui bronzent même en hiver. Retailleau ne vise pas les ultras du PSG à Neuilly. Il vise les Abdel, les Mamadou, les Rachid. Ceux qu’il ne connaît pas mais qu’il redoute. Ceux qu’il n’écoute pas mais qu’il condamne dans des comparutions immédiatement expeditives. Ceux qu’il veut invisibles, dociles, ou morts.
Mais tout ça, c’est pas nouveau. C’est même d’une banalité gerbante. Chevènement avait ses sauvageons, Sarko ses nettoyages au karcher, Darmanin ses ensauvagés, et maintenant voilà Bruno la matraque avec ses barbares. Chaque ministre son animal totem. Et toujours les mêmes bêtes à abattre.
Et pendant ce temps, quoi ? Les écoles tombent en ruine, les hôpitaux crèvent, les logements insalubres s’empilent, les jeunes crèvent la dalle, les services publics agonisent, et les fachos s’arment. Mais ça, ça intéresse personne.
C’est plus rentable de rejouer la comédie du choc des civilisations. Sauf qu’ici, la “civilisation”, c’est McKinsey, c’est l’Élysée bunkerisé, c’est les CRS en quad et les préfets en roue libre. Et la “barbarie”, c’est des mômes de 16 piges qui crient leur rage dans une langue qu’on ne veut pas entendre. Qu’on refuse de traduire. Parce que ce serait trop dangereux de les comprendre.
Et le pompon, c’est le président. Macron, le petit prince des paradoxes, qui parle de décivilisation avec des trémolos dans la voix, tout en signant des lois de plus en plus pétainistes sous couvert de République. Il laisse Retailleau en roue libre, comme un chien de garde qu’on relâche pour mordre à sa place. Pendant que lui, il “philosophe”.
Et la gauche ? Elle gueule. Alors on lui crache à la gueule. “Complice des voyous”. “Laxiste”. “Islamo-wokiste”. Eco terroriste. La vieille rengaine. Elle dénonce ? On l’accuse. Elle pleure ? On la piétine. Et les incendies continuent, comme des points d’exclamation dans le grand roman de l’échec français.
Un jour, ouais, ça va craquer. Un jour, ce cirque sécuritaire va se prendre une baffe de réalité. Mais en attendant, ils continuent. À parler fort. À cogner dur. À exclure mieux. Et à nous vendre, chaque putain de jour, la fable pourrie selon laquelle tout ça, c’est la faute des barbares.
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