Dans la tête bien peignée de Karol Nawrocki
J’ai rencontré Karoll, il y a bien des années dans un club échangiste en plein centre de Varsovie. Ça sentait l’ensens et le stupre. Il était a poil et bien peigné sous un buste de Jean Paul II qui servait de porte manteau. Il avait déjà un regard de type convaincu par sa propre biographie. Un regard d’homme qui s’est regardé naître dans le miroir et qui s’est trouvé très bien ainsi.
Karol Nawrocki, c’est le genre à réciter l’Histoire comme on lit les psaumes. L’ennui en plus. Il vous regarde comme un livre mal rangé. Et il vous classe.
Né à Gdańsk, dans une barre de béton, élevé entre deux commémorations. L’enfance modeste, la boxe au lycée, la sueur comme ciment de l’âme patriote. Puis l’université. Puis l’Institut de la Mémoire. Puis la mémoire, tout court.
C’est un homme qui croit que l’Histoire a des majuscules et des drapeaux. Pas de nuance. Pas de doute. L’Histoire est une procession. Il en est le bedeau.
Il a été historien avant d’être politicien. Ou l’inverse.
Directeur de musée, puis de l’Institut de la Mémoire Nationale, qu’il a transformé en coffre-fort à récits officiels. Pas de serrure. Un cadenas avec son prénom. Il y entrepose l’héroïsme polonais, le martyre catholique, les pages glorieuses — et il jette les autres. Les pages sales ? Incinérées. Les noms douteux ? Barrés. Les ambiguïtés ? Déclassifiées… pour un autre siècle.
Un collègue m’a soufflé qu’il avait écrit la bio d’un mafieux local. Sous pseudo. Une biographie tendre. Presque amoureuse. Etrangement flatteuse, qui en dit long sur ses fréquentations littéraires.
Puis il est devenu candidat. Malgré lui. Enfin… façon de parler.
Le PiS lui a collé l’étiquette « indépendant », comme on pose un couvercle sur une cocotte-minute. Il est monté sur l’estrade comme un enfant de chœur sur la scène d’un opéra fascistoïde : un peu perdu, très appliqué, et ravi d’être là.
Il a commencé à parler de football, de souvenirs d’enfance, de mémoire nationale, de famille, de Dieu, de béton, de drapeaux. On ne savait plus s’il faisait campagne ou un pèlerinage.
Il a pris vingt points dans les sondages le jour où Trump lui a serré la main. Tout était là : l’image, la cravate, le tweet. Le peuple a dit : « Voilà un homme ! »
Il a gagné. D’un souffle. D’un soupir. D’une prière.
50,9 %. La moitié plus un. Un miracle statistique, un orgasme algorithmique pour les amateurs de suspens sous cellophane.
Depuis, il attend son investiture comme on attend Noël. Sagement. Avec les mains sur les genoux. Il a dû déjà écrire ses discours. Trois fois. Une version officielle, une version sacrée, et une version secrète pour son psy.
Parce qu’il en a un, sûrement. Un bon. Spécialisé en troubles de la mémoire… collective.
Karol Nawrocki est un homme sans rire. Mais il déclenche le mien.
Il marche comme une statue en costume. Il parle comme un audioguide. Il pense en plaques commémoratives. Et pourtant, je l’aime un peu. Comme on aime un vieux magnétophone qui récite toujours la même bande. Il est l’incarnation polonaise du passé recomposé. Le gardien de la version longue de la patrie. Sans bonus. Sans making-of. Juste le récit. Gravé. Officiel. Droit comme une stèle.
Je l’imagine parfois chez lui, le soir, relisant ses propres discours à voix haute, pour s’endormir. Avec un drapeau sur les genoux et un portrait de Jean-Paul II au mur.
Il est seul. Sûr de lui. Et persuadé que l’Histoire l’aime.
Elle lui sourit peut-être.
Moi, je pouffe.
Atramenta
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