Petite pensée du soir pour les Alèsiens victimes d’une aggretion fasciste en pleine féria.
C’est marrant, je les vois, droits comme des i, le sourire en coin, figé comme leur pensée.
Je vois leurs épaules qui roulent, et leurs bêtises crasses accrochées.
Leurs poches pleines d’armes à blesser ou à tuer, pourquoi pas.
Pour l’honneur perdu de toutes leurs batailles du siècle passé. De leur guerre, aussi.
S’il fallait trouver quelque part un lieu ou une cause
qui porta la paix dans leurs sinistres desseins…
Il y a un malin plaisir, pour cette engeance, à lutter pour le pire.
Pour la sécurité, la cogne.
Pour la justice, des prisons.
Pour l’État, l’ordre surtout.
Pour l’économie, des économies.
Pour l’école, des uniformes.
Pour la santé, plus de privé.
Pour les femmes, retour au XIXe.
Pour les hommes, open bar.
Je les vois, ces jeunes hommes au crâne rasé, tatoués de symboles bellicistes.
Je les regarde : les petits durs de la Nation.
Les remparts de la civilisation chrétienne.
Je les regarde et franchement, j’hésite entre la nausée et le fou rire.
Ils ont le port du militaire, la cervelle vide, mais bien alignée.
Pas un pli sur la chemise, pas un doute dans le regard.
Ils sont venus défendre la France à coups de poings, à coups de slogans, à coups d’épaulettes imaginaires.
Ils n’ont rien compris à leur époque, alors ils la tabassent.
Ils n’ont jamais lu que des livres de haine, alors ils brûlent ceux qui diffusent la paix et la liberté.
Ils n’ont jamais fait la guerre, alors ils la rejouent entre deux bières tièdes.
Leur seul combat, c’est la nostalgie d’un âge d’or qui n’a jamais existé et qu’ils veulent ressusciter à grands coups de bottes dans la gueule du présent.
Ils appellent ça la reconquête.
Je traduis : la revanche des frustrés.
Des recalés de la tendresse.
Des orphelins de l’intelligence.
Des types pour qui le monde est trop complexe, alors ils le simplifient au marteau.
Ils pensent avec leurs poings et parlent en langage des signes nazis.
Ils changent de nom comme les punaises changent de plancher :
ça grouille, ça gratte, ça revient toujours.
Ils ont été dissous vingt fois.
Ils reviennent vingt-et-une des égouts de la pensée brune.
Avec d’autres logos, d’autres slogans, mais la même sale haleine de haine.
Et l’État les regarde.
Il dit qu’il va sévir.
Puis il regarde ailleurs.
Il déteste la violence, mais il aime quand elle tape dans le bon sens.
Et pendant ce temps, à Alès…
Une foule en fête a pris des coups dans un local qui défend la paix, les droits, la parole des minorités.
Pas dans un recoin sombre. En pleine lumière.
Pas par hasard. Par programme.
Des types venus de Montpellier, là où les ratonnades prennent le tramway.
Où les fiotes, comme ils disent, ont peur.
Là où les milices recyclent leurs tee-shirts du GUD en polos patriotes.
Ils ont tabassé.
Parce qu’ils parlaient.
Parce qu’ils respiraient de travers.
Parce qu’ils étaient vivants, dans un lieu au nom symbolique de Prolé.
Et vous savez quoi ?
Ils se sentent chez eux.
Parce que leur haine, aujourd’hui, c’est presque mainstream.
Parce que leurs fantasmes, c’est devenu la playlist politique du moment.
Parce que pendant qu’on compte les coups,
certains comptent les voix.
Alors oui, je les regarde.
Et je me dis que très vite, faudra se retrousser les manches pour séparé le bon grain républicains de l’ivraie fascisante recyclée en flamme bleu-blanc-rouge.
