Pascal Praud, ou l’art de faire carrière en raccourcis
Il est né à Nantes, mais il aurait pu naître à Boulogne-Billancourt ou à Versailles, tant son parcours sent l’orthodoxie bien repassée. Il vient du football, un monde où l’on apprend à parler fort, à commenter l’évidence, à feindre l’expertise sur des gestes qui durent trois secondes. Cela l’a formé à son futur métier : ne rien approfondir, mais en parler longtemps.
De TF1 à RTL, c’est l’époque où Praud est encore un homme du consensus : celui du sport roi, de l’émotion calibrée, de l’union sacrée autour du ballon. Il parle foot, donc il parle à tout le monde. Il n’a pas encore choisi son camp, ou du moins il le cache bien sous les couleurs de l’équipe de France.
Mais quelque chose bascule.
Quand il quitte le FC Nantes et rentre en radio sur RTL, il fait ce que font tous les sportifs qui vieillissent mal : il se recycle dans la politique. Et pas n’importe laquelle. Une politique de comptoir, de grenier, de France d’avant. Celle qu’on distille à coup de mots simples pour des vérités fausses. Celle qu’on aligne en rubriques comme on aligne les blâmes : « immigration », « wokisme », « islam », « féminisme ». Une politique de l’ennemi. De la peur. Du bouc émissaire.
Praud, ventriloque du ressentiment national
Car ce que Praud produit désormais, ce n’est plus de l’information, ni même du commentaire. C’est une liturgie. Celle de la nostalgie, de l’autorité, du bon vieux bon sens enrobé de mauvaise foi. Une France en noir et blanc, où les profs étaient respectés, les femmes à la maison, et les immigrés invisibles.
Il anime L’Heure des pros sur CNews, mais le titre est trompeur : ce n’est pas une heure pour les professionnels, c’est une heure pour les rageux. Un théâtre de l’indignation circulaire où tout se joue d’avance. Il n’y a pas de débat, seulement une mise en scène de l’affrontement, comme dans ces jeux de catch où les coups sont simulés mais les cris réels.
Praud ne cherche pas la contradiction, il l’organise pour mieux la piétiner.
À chaque sujet, une cible. À chaque invité, un rôle. La blonde outrée, le vieux réac, le rebelle contrôlé. Et au centre, lui, chef d’orchestre du vacarme, feignant l’impartialité comme un prestidigitateur feint la magie. Sauf qu’ici, le tour est connu. Et le lapin est mort depuis longtemps.
Le micro comme mégaphone de l’extrême droite
Sa proximité avec Éric Zemmour n’est pas une dérive, c’est une logique. Une trajectoire. Il n’invite pas Zemmour, il le met en valeur. Il ne critique pas ses propos, il les reformule avec bienveillance. Praud est un marchepied idéologique. Une caisse de résonance qui s’ignore. Ou feint de s’ignorer.
Il n’a pas viré à droite. Il s’y est installé. Avec terrasse.
Le réchauffement climatique ? Un fantasme de bobo.
Les féministes ? Des rabat-joie.
Les migrants ? Une menace.
Les jeunes ? Ingratitude et TikTok.
La gauche ? Une maladie infantile.
Le vivre ensemble ? Une blague qu’il ne trouve plus drôle.
Tout ce qui échappe à son référentiel culturel est suspect. Il juge les générations comme on juge des plats qu’on ne connaît pas : trop épicés, trop fades, trop modernes. Il ne veut pas comprendre. Il veut avoir raison.
Et il le fait avec méthode. Il parle vite, coupe la parole, joue l’outré, cite des sources floues, amalgame des faits réels avec des fantasmes collectifs. Il transforme chaque émission en arène. Il clive, il excite, il vend.
Pascal Praud, symptôme d’un média malade
Mais attention. Ce portrait n’est pas celui d’un homme isolé. C’est celui d’un modèle de production. CNews n’a pas recruté Pascal Praud malgré ses outrances. Elle l’a fait pour ça. Il est le produit fini d’une usine à opinion. Une machine à alimenter le conflit social pour faire grimper l’audience.
Il n’est pas seul. Il est la vitrine d’un projet. Celui de Bolloré, de Hanouna, de Zemmour, de tous ceux qui veulent transformer l’espace public en champ de bataille culturel. Un espace où la vérité n’a plus de valeur, tant qu’elle ne sert pas le clan.
À l’heure où l’information s’effondre sous le poids de la polarisation, Praud prospère.
Il joue l’homme du peuple, mais défend les puissants. Il se dit libre, mais sert une ligne éditoriale. Il crie à la censure, mais est omniprésent. Il dénonce l’idéologie, mais en est la caricature la plus flamboyante.
Épilogue : la France selon Praud
Une France blafarde, figée, qui ne s’excuse jamais. Une France qui ne comprend pas le monde mais le condamne. Une France où l’émotion remplace la réflexion. Où le soupçon vaut preuve. Où les plateaux télé font loi.
Pascal Praud n’est pas le pire. Il est le plus représentatif. Il n’invente rien. Il capte l’air du temps, l’assèche, le vend. Il transforme la complexité en slogan. Le débat en dogme. Et l’antenne en forteresse.
Et pendant ce temps, dans le poste, ça parle. Fort. Tout le temps. Pour ne surtout rien entendre.
