Dire « génocide » à Gaza, c’était blasphémer.
Et « antisémite ! » tombait comme une gifle quand ce n’était pas des matraques.
Même sur des antiracistes. Même sur des juifs.
Mais à force de dévoyer ce mot, c’est la Shoah qu’on déshonora…Ce texte est pour tous ceux qui n’ont pas cédé à cette injure infâme.
Gaza / Auschwitz : à force de crier au loup, on oublie le sang
Il paraît qu’on n’a pas le droit de comparer. Que ça heurte. Que ça insulte. Que ça trahit la mémoire.
Que dire Auschwitz, c’est salir la Shoah.
Mais que faire, alors, quand l’histoire bégaie si fort qu’elle postillonne la mort en boucle, tous les jours, sur nos écrans HD ?
Faut-il dire Alep ? Mossoul ? Dresde ?
Des villes éventrées, oui. Mais Gaza, c’est autre chose. C’est une ville sous verre. Une cage. Un vivarium de misère surveillé par drones et miradors.
Une prison sans jugement. Une nasse où l’on naît, où l’on meurt, et où l’on n’est jamais libre.
On nous dit : Auschwitz, c’est unique.
Oui. Et c’est bien pour ça que ce mot vient.
Parce qu’il dit l’indicible, qu’il est devenu le totem du pire.
Parce qu’il sert de garde-fou à l’horreur et que l’horreur a défoncé la clôture.
Parce qu’Israël l’invoque à tout bout de champ pour justifier ses murs, ses tanks, son impunité.
Alors oui, le mot « Auschwitz » revient. Comme un boomerang. Et ça pique. Et ça fait mal. Mais pas autant que les larmes d’un enfant qui meurt de faim, de soif, de bombes. Pas autant que l’hypocrisie d’un monde qui regarde ailleurs.
Ah ! Mais attention, Gaza n’est pas Auschwitz.
Pas de wagons. Pas de Zyklon B. Pas d’abat-jours en peau de Palestiniens.
Merci, vraiment. Ça rassure.
Mais les enfants meurent. Les femmes. Les vieillards. Les ambulanciers. Les journalistes.
Ils crèvent, littéralement, derrière des murs.
On les regarde de là-haut.
Avec des jumelles.
Et parfois, on tire.
Ce n’est pas pareil ? Très bien. Ce n’est pas pareil. Et alors ?
Le racisme israélien n’est pas nazi, dit-on. Il est colonial. Supérieur. Sélectif.
Il ne veut pas éradiquer : il veut faire place nette.
Un nettoyage sans grand mot, sans grand soir. Un racisme de gestionnaire.
Mais ça tue, quand même.
Ça creuse des fosses, à coups de missiles. Ça affame, ça déshumanise, ça écrase.
Et l’on devrait calibrer nos mots à l’aune des subtilités du mal ?
Faut-il mesurer les génocides au pèse-langue ?
Faut-il caresser l’horreur du bout de la syntaxe, pour ne pas froisser ceux qui ont breveté la souffrance ?
Faut-il attendre que les cadavres s’empilent au bon rythme, dans les bonnes proportions, avec le bon uniforme, pour avoir le droit d’employer le grand mot ?
Gaza, ce n’est pas Auschwitz. Très bien.
Mais Gaza est un camp. Un vrai.
Avec ses barbelés, ses drones, ses sirènes, ses rationnements, ses déshumanisations.
Un camp de concentration à ciel ouvert, où les murs sont si hauts qu’on ne voit plus la mer.
L’indignation, elle, ne connaît pas de lexique homologué.
Elle déborde. Elle crie trop fort. Elle dit parfois des mots de travers.
Mais elle voit.
Et elle refuse de s’agenouiller devant les hiérarchies de l’horreur.
Parce qu’il ne s’agit pas de comparer les morts, mais de sauver les vivants.
Parce qu’un peuple affamé, assiégé, bombardé n’a pas besoin qu’on lui explique les nuances de la barbarie.
Il a besoin qu’on dise : ça suffit.
Et si le seul mot qui vient à l’esprit, c’est Auschwitz, alors qu’il vienne.
Qu’il claque.
Qu’il gifle nos lâchetés.
Qu’il troue le mur du silence.
À trop vouloir préserver la mémoire, on oublie de regarder le présent.
Et ce présent pue le génocide.
https://www.atramenta.net/m/authors/guy-masavi/1981
