Chiffres et Silence : L’Injustice envers les Musulmans

« De l’Art subtil de faire disparaître les musulmans dans les chiffres »
Mes chers compatriotes,
Françaises, Français, et vous aussi, contribuables attachés aux subtilités du verbe républicain, permettez-moi aujourd’hui d’ouvrir les registres de l’Injustice, ceux que l’on garde sous clé au Ministère de l’Intérieur, dans la sacristie des chiffres officiels.
Voici donc qu’en l’an de grâce 2025, alors que le pays s’enorgueillit d’une laïcité plus chatoyante que jamais, l’État, dans sa sagesse comptable, annonce avec un flegme tout préfectoral qu’il n’y eut, pour l’année 2024, que 173 actes antimusulmans recensés sur l’ensemble du territoire. Oui, vous avez bien lu : 173. Pas un de plus, pas un de moins. Un chiffre taillé sur mesure pour figurer dans une brochure de propagande administrative, quelque part entre le taux de natalité en Lozère et la consommation de sel par habitant.
Bassirou Camara, citoyen exemplaire et président de l’ADDAM, lève alors un sourcil que l’on devine épais : « Qui peut croire ça ? » s’indigne-t-il, dans un élan de saine raison. En effet, qui peut encore, sauf peut-être les experts en communication de crise ou les amateurs de PowerPoint ministériels, imaginer que ce chiffre soit autre chose qu’un simulacre ?
On nous parle d’une hausse de 72 % au premier trimestre 2025 ? Fort bien ! Quelle bravoure, quelle audace ! Le Ministère ose même dire que la courbe monte. Voilà donc le retour du thermomètre, mais sans jamais évoquer la fièvre.
Hélas, Mesdames et Messieurs, les chiffres ne sont pas fruits du hasard : ils naissent dans les entrailles de la DNRT, organe respectable au nom drapé de noblesse technocratique, mais dont les méthodes de mesure relèvent du tamis percé. Car voyez-vous, seuls les actes passés par la douane policière — c’est-à-dire ceux assortis de plaintes dûment enregistrées, estampillées, validées — accèdent à la dignité statistique. Le reste ? Des murmures, des soupirs, des humiliations. Autrement dit : le quotidien.
Mais ce quotidien n’a pas d’existence dans les tableaux Excel de la République. Il se dilue dans les non-dits, les refus de dépôt de plainte, les classements sans suite, les regards en coin dans les commissariats où l’on confond parfois racisme et chamaillerie de cour de récré.
Car il y a des filtres, Mesdames et Messieurs. Des filtres épais comme le Bulletin officiel. Le premier d’entre eux est un silence. Ne pas porter plainte est la norme. La peur, l’usure, la résignation : autant de verrous plus puissants que n’importe quelle serrure Vigik.
Le deuxième filtre est institutionnel. Vous pensiez qu’en France, toute plainte est reçue comme la Vierge dans une crèche de Noël ? Que nenni ! Il faut d’abord que l’agent de police accepte de la prendre. Puis qu’il la classe sous la bonne rubrique : raciste, antimusulmane, ou autre fourre-tout administratif. Et là, c’est le loto. Parce qu’un « sale terroriste » peut, selon le bon vouloir de l’enquêteur, être un acte raciste, une incivilité, ou juste une « blague de mauvais goût ».
Et puis il y a le grand filtre idéologique, celui que les lois sur le séparatisme et l’immigration ont solidement tissé : les musulmans ne sont pas encouragés à pousser la porte des commissariats. Ils savent, au fond d’eux, que cette porte peut claquer. On les y regarde comme des présumés coupables en attente d’être crus.
Madame Hanane Karimi, sociologue de son état et oracle du réel, parle de « mort sociale ». Le mot est fort, mais juste. Car oui, quand vous portez le foulard et que votre simple présence déclenche une levée de boucliers dans une salle de classe ou un entretien d’embauche, ce n’est pas une opinion, c’est un verdict. Une condamnation à être invisible, mais soupçonnée. Présente, mais indésirable.
Et pourtant, pendant ce temps-là, à la Direction nationale du renseignement territorial, on ventile, on trie, on classe. On parle d’ »actes antimusulmans » avec un soin de bibliothécaire. Mais attention, seulement si l’agression vise explicitement une mosquée ou une prière. Sinon, ce sera « anti-Arabe », « autre », ou « non renseigné ». L’islamophobie, vous dit-on, c’est trop vague, trop militant. Alors on préfère le mot ministériel, neutre comme une circulaire : « antimusulman ».
Et ainsi, le racisme passe à la trappe des cases mal conçues, des colonnes mal alignées, des décideurs frileux. Et quand l’assassin d’Aboubakar Cissé crie « ton Allah de merde », ce ne sera pas une attaque religieuse, ce sera une opinion maladroite peut être… Une simple pulsion de meurtre dans une mosquée tient tant qu’à faire!
Le Collectif contre l’islamophobie ? Dissous. Puis exilé à Bruxelles, comme un hurluberlu trop bruyant pour la bienséance française. Le CCIF est devenu le CCIE. Moins audible ici, mais toujours à l’écoute là-bas. Et eux, contrairement à la DNRT, comptent 1 037 actes islamophobes en 2024. Soit six fois plus. Une broutille, sans doute.
Et pourtant, rien dans le Plan national de lutte contre le racisme n’évoque l’islamophobie. Elle n’existe pas dans la langue officielle. Elle est dissoute dans les métaphores. Camouflée dans le lexique pudique de la République, cette grande amoureuse de l’égalité tant qu’elle reste théorique.
Car c’est cela, au fond, que ce grand flou révèle : un art consommé de l’évitement. Ne pas nommer, c’est ne pas combattre. Ne pas compter, c’est ne pas agir. Et pendant que le pouvoir caresse ses chiffres comme un magicien ses cartes, des femmes courbées sous leur foulard apprennent à disparaître du regard des autres. Elles ne pleurent pas seulement parce qu’on les insulte. Elles pleurent parce qu’on les nie.
Mais ne vous inquiétez pas, citoyennes et citoyens. Le Ministère veille. Avec ses statistiques. Ses catégories. Ses filtres. Et surtout, son vocabulaire choisi.
Ainsi soit-il.

https://www.atramenta.net/m/authors/guy-masavi/1981

Laisser un commentaire